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Le vin, envers et contre tous les charlatans du savoir...

Messagepar Jean-Pierre NIEUDAN » Jeu 26 Sep 2019 11:33

Dans son nouveau livre « Pourquoi boit-on du vin ? », le professeur Fabrizio Bucella s'amuse à détricoter quelques fausses vérités fortement médiatisées.

Fabrizio Bucella enseigne à Bruxelles. Né à Milan en 1973, il a fait ses études en Belgique, participe activement aux mouvements étudiants avant de devenir le seul vice-président de l'Université libre de Bruxelles à être réélu quatre fois de suite, ce qui ne s'était jamais produit depuis plus d'un demi-siècle. Il est l'auteur de L'Antiguide du vin, ce que les autres livres ne vous disent pas publié aux éditions Dunod. Dans son dernier livre Pourquoi boit-on du vin ? Une enquête insolite et palpitante du professeur Fabrizio Bucella également paru chez Dunod, il part à la recherche d'indices archéologiques, philosophiques et passe au crible les comptes rendus de concours de dégustations d'aujourd'hui pour répondre à la question : « Se pourrait-il qu'il existe une réponse fondamentale à la question du pourquoi boire ? Une réponse dont l'origine remonte à l'aube de l'humanité ? Une sorte de condition initiale qui aurait sélectionné les êtres humains en des créatures capables d'absorber de l'éthanol ? »

Le Point : Votre livre est savoureux. On peut l'ouvrir « à l'aveugle » comme pour une dégustation et passer un très bon moment avec ce livre, comme un anti-dictionnaire des idées reçues. On y découvre, par exemple, l'existence du Ptilocercus, charmant « animal placentaire » vivant dans les forêts de Malaisie dont la particularité est de boire bien plus que de Funès dans La Soupe aux choux…

Fabrizio Bucella : Votre question traite du cœur du réacteur, la construction du livre, qui fut réalisée précisément dans cet objectif. Tant les chapitres que les parties peuvent se lire de manière presque aléatoire. C'est dû à la genèse de l'ouvrage : 9 ans de recherches, cours et conférences et 9 mois de rédaction. L'écriture fut prenante, mais le travail en amont le fut tout autant. Concernant Ptilocercus Lowii, il s'agit d'une sorte de petite musaraigne de la forêt tropicale malaisienne, proche parent des primates. En 2008, des équipes allemandes ont découvert qu'il appréciait des cœurs de palmier fermentés. Une nuit sur trois, notre resquilleur absorbe l'équivalent, pour un être humain, de 9 verres de vin de 12 centilitres. Il s'agit de l'une des premières preuves documentées que des animaux apprécient la molécule d'éthanol.

Mais là où vous semblez vous amuser le plus, c'est quand vous démontez statistiques et moyennes. Alfred Sauvy, qui n'était pas manchot en matière de statistiques, énonçait sous forme de boutade les limites de l'exercice : « Une femme est fidèle à son mari. Une autre est infidèle au sien deux fois par semaine. En moyenne, ces deux femmes trompent leur mari une fois par semaine. » Ainsi, vous nous faites une révélation à propos du fameux Jugement de Paris, dégustation organisée en 1976 « opposant » vins californiens et vins français et qui fit grand bruit puisque c'est un vin américain qui triompha. Et vous nous dites 43 ans après : ce n'est pas aussi évident…

L'exemple que vous citez existe aussi dans une version filiale. Un couple a un enfant, un autre deux enfants. La moyenne est donc de 1,5 enfant. Cela ne correspond à aucune réalité, car il n'est pas possible d'avoir un enfant et la moitié d'un autre. La moyenne est un descripteur statistique imparfait, notamment très sensible aux valeurs extrêmes. Il n'est pas si facile à calculer : il faut faire une addition et puis une division. Cependant, il s'impose dans l'enseignement et nous y sommes souvent ramenés. Il existe beaucoup de manières pour traiter les notes de juges, notamment lors d'un concours de vins. J'enseigne ces matières aux masters 2 en droit du vin des universités de Bordeaux et de Reims. Parfois, cela conduit à des paradoxes qu'avait déjà esquissés Condorcet au siècle des Lumières. Avec le Jugement de Paris, si on prend la médiane des notes, c'est Mouton Rothschild qui gagne. Si on prend la méthode de Condorcet, c'est Montrose. Deux vins français.

À propos du fameux article publié dans la revue The Lancet à propos d'une étude« prouvant » que dès le premier verre de vin, le buveur prend de gros risques avec sa santé, vous démontrez, calculs à l'appui, que ces conclusions sont fausses et relèvent davantage de l'idéologie que de la science. Pouvez-vous nous expliquer simplement la différence entre risque absolu et risque relatif ?

Voilà qui est cocasse, car je viens de terminer pour une revue scientifique un article de douze pages intitulé « Le paradoxe du risque relatif ». C'est un développement des questions que j'aborde dans l'ouvrage. En deux mots, le vrai risque s'appelle le risque absolu. Le risque relatif est l'augmentation (ou la diminution) du vrai risque. Prenons le cas de l'étude du Lancet. Les personnes qui boivent 2 verres par jour augmentent le risque de développer une pathologie de 7 %. Quand j'ai entendu cela au journal de France 2, je suis tombé de mon tabouret. 7 % ? C'est énorme. En vérité, on parle de l'augmentation du risque, soit le risque relatif. Quelle est la probabilité, biais de l'étude mis à part, de développer une pathologie pour les personnes buvant 2 verres par jour ? Elle est exactement de 0,977 %, donc moins de 1 %. Il est plus facile de mourir de la pollution de l'air que de la consommation de vin ! Ce 0,977 % est le risque absolu. Ou vrai risque.

Comment expliquez-vous l'absence de démenti ou d'analyse critique de cette étude dans les mêmes médias qui lui avaient déroulé le tapis rouge ? Il semble que seuls le HuffPost où vous publiez des chroniques et Le Point ont dénoncé cette escroquerie intellectuelle ?

Votre chronique fut très pertinente, mais je suppose que la communication du Lancet fut savamment orchestrée. Elle n'est pas tombée du ciel, mais sur notre tête comme on dit. Sans entrer dans des thèses sur la grande cabale, il est des ligues puritaines et hygiénistes qui essayent de structurer notre société. C'est extrêmement visible dans la nourriture et, en partie, dans le vin. Si vous postez une photographie d'un plat de viande, on vous traite de sadique. Si vous buvez un verre de vin, on tente de vous culpabiliser. C'est extrêmement grave, car on tente de dé-normaliser ces comportements. Bientôt, cela deviendra un acte de résistance de consommer un verre de vin. C'est sur cette conclusion que se clôture l'ouvrage.

Pourquoi boit-on du vin ? de Fabrizio Bucella, éditions Dunod, 18,90 €

Propos recueillis par Jacques Dupont
https://www.lepoint.fr/vin/le-vin-enver ... tor=EPR-6-[newsletter-lepoint-vin]-20190926
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Jean-Pierre NIEUDAN
 
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