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Le vin et le bio #7 - L. Bérillon, pépiniériste visionnaire

Messagepar Jean-Pierre NIEUDAN » Jeu 8 AoĂ»t 2019 10:55

INTERVIEW. À partir de 2035, les vignerons bio devront utiliser des plants bio. Une évolution que Lilian Bérillon, pépiniériste dans le Vaucluse, avait anticipée.
Propos recueillis par Olivier Bompas

À partir de 2035, tous les vignerons bio seront obligés pour renouveler leurs vignes d'utiliser des plants certifiés bio. Une véritable révolution dans ce secteur très peu préparé à fournir ce type de matériel végétal… Lilian Bérillon est pépiniériste viticole à Jonquières, dans le Vaucluse : « Mes deux grands-pères étaient pépiniéristes dans les plants de vignes, un à Violès et l'autre à Jonquières… Ça correspond à l'histoire du Vaucluse, c'est ici qu'a commencé à se développer l'activité de pépiniériste, car la région est très ventée, ça assainit les vignes, il y a de l'eau, du soleil, toutes les conditions étaient réunies. Mon père a fusionné les deux activités au début des années 80, mes parents travaillaient ensemble. J'ai d'abord exercé en tant que salarié pour un groupement, je vendais des plants de vigne clonés. Petit à petit, j'ai pris conscience que l'on était dans une logique suicidaire. Ces plants de vigne reproduits à l'infini et génétiquement semblables constituent un matériel végétal de plus en plus fragile, 97 % du vignoble est malade, les vignes sont de moins en moins résistantes et dépérissent. »

Petit lexique pour mieux comprendre :

Sélection clonale : sélection d'une souche unique sur la base de critères agronomiques, œnologiques et sanitaires précis en vue de la production de plants de vigne identiques, les clones.

Sélection massale : sélection, parmi les plus beaux pieds de vigne d'un domaine, de souches destinées à la production de plants de vigne avec la volonté de maintenir une diversité d'origine et génétique.

Porte-greffe : pied de vigne d'origine américaine résistant au phylloxera, sur lequel on implante un greffon, le cépage.

Greffon : rameau de vigne destiné à être greffé sur un porte-greffe.

Flavescence dorée : maladie de la vigne causée par un micro-organisme qui circule dans la sève, entraînant le dépérissement du pied puis sa mort. La maladie se transmet par l'intermédiaire d'un petit insecte volant, la cicadelle.

Le Point : Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à la production en bio et en biodynamie ?


Lilian Bérillon : Je me suis installé en 1998 dans le domaine familial. En 2003, l'année de la canicule, beaucoup de vignes n'ont pas tenu le coup. Depuis, on constate une mortalité inquiétante… Il n'est pas normal de devoir arracher une vigne de 20-25 ans, j'ai alors pris le virage du bio et de la biodynamie, je voulais partir sur une feuille blanche. En 2005, le verger français de porte-greffes était virosé, le mien aussi, j'en ai arraché 80 %. A partir de 2007, j'ai dû tout replanter… En République tchèque, j'avais vu des vignes de porte-greffes palissées, étendues en hauteur sur des fils, contrairement à l'usage chez les pépiniéristes qui consiste à laisser pousser la vigne à même le sol, les lianes formant alors une sorte de tapis qui traîne dans les limons en s'enroulant sur elles-mêmes. On a alors palissé nos premières replantations de vignes mères. L'avantage de ce palissage, c'est de pouvoir travailler les sols, de ne pas utiliser de chimie et de permettre de pulvériser des solutions biodynamiques. Le début de notre démarche en bio, c'est ça. J'ai alors commencé à remettre en cause beaucoup de choses…

Quelles sont aujourd'hui vos méthodes de travail ?

On a deux vignobles : un pour produire les porte-greffes, l'autre pour produire les greffons. On sélectionne les différents cépages dans le vignoble (sélection massale), chez les vignerons, on identifie le patrimoine viticole et on prélève les plants, cela permet de sélectionner des plants qui n'ont pas de maladie et qui produisent des raisins de qualité. Cette méthode nous permet de proposer une grande diversité d'origine pour un même cépage, ce qui n'est pas le cas avec les plants clonés. Ensuite, on ne se contente pas de vendre du matériel végétal. Avec le vigneron, c'est un partenariat, on a une méthode de travail qui consiste à intervenir en amont de la plantation. Après l'arrachage d'une vigne, il faut prendre le temps de laisser reposer le sol avant de replanter, il s'enrichit en nutriments et il s'assainit. Une plantation, ça se prépare. Et puis il faut être très exigeant sur la taille, l'entretien d'une vigne est très important.

Avec une prestigieuse maison de Champagne, par exemple, on a fait un gros travail de recensement de leur patrimoine viticole, on réimplante chez eux sur une parcelle, c'est un véritable conservatoire sur lequel on peut prélever les bois pour créer les greffons.

Avec vos méthodes, vous êtes un précurseur dans l'univers de la pépinière qui a établi un modèle fondé sur les clones et les volumes plus que sur la qualité. Comment imaginez-vous la suite de votre démarche, notamment avec l'obligation des plants bio en 2035 ?

Il y a un objectif auquel personne n'échappera, c'est la date butoir de 2035. Un nouveau règlement européen imposera que tous les plants utilisés en viticulture bio soient certifiés bio. Le coup d'envoi, c'est 2021, autant dire demain, il faut que l'on passe au concret. Chez nous, dès 2009, on a décidé d'écrire un cahier des charges de production de plants en bio. On l'a fait pour nous, en interne, mais ce dossier est arrivé un peu trop tôt, il aurait fallu mobiliser plus de vignerons, j'étais un peu isolé avec peu de soutiens… La fédération des pépiniéristes n'a pas suivi, le dossier n'est pas passé auprès des instances. On ne peut pas revendiquer une production de plants bio tant que les pépiniéristes utilisent les insecticides contre la flavescence dorée, on a un certain nombre de traitements obligatoires. Pour régler le problème, j'utilise un système de traitement à l'eau chaude depuis trois ans… et ça marche.

Comment envisagez-vous l'avenir de votre profession ?

L'idée n'est pas de partir sur un projet irréalisable ni de faire miroiter des choses ingérables pour les vignerons. La solution que je préconise, ce sont des porte-greffes sains, avec le moins de chimie possible, et le principe de la sélection massale comme base de travail, avec une grande diversité d'individus. N'imposer que de vieux cépages et des techniques de production très rigoureuses, ce sera compliqué, mais il faut pousser le cursus le plus loin possible. Aujourd'hui, sur les porte-greffes, on a obligation de travailler sur du matériel cloné, il n'y a quasiment pas de diversité, même si cette diversité a existé au départ sur les plants américains, mais le clonage a tout standardisé… Le résultat, c'est une très grande fragilité du matériel végétal. Ce sont les établissements de prémultiplication qui nous les fournissent. On arrive à faire bouger les lignes, mais c'est long.

Après le clonage de masse, la prochaine étape est les cépages résistants (croisement d'un cépage avec un porte-greffe qui résiste à l'oïdium et au mildiou). Je crains qu'avec l'arrivée de ces nouveaux cépages on perde l'effet terroir et que l'on aille vers une standardisation. On parle de la sauvegarde du patrimoine viticole français, mais en réalité ça marchera quelques années et puis les souches de mildiou s'adapteront, et le problème se posera de nouveau…

Source : https://www.lepoint.fr/vin/le-vin-et-le ... tor=EPR-6-[newsletter-lepoint-vin]-20190808
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Jean-Pierre NIEUDAN
 
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