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Le vin et le bio #5 - SĂ©bastien David : militant de la Loire

Messagepar Jean-Pierre NIEUDAN » Jeu 8 AoĂ»t 2019 10:45

Le vignoble ligérien compte de plus en plus de domaines certifiés ou en cours de certification bio. Loire vin bio en rassemble les trois quarts…
Par Jacques Dupont

Parcours atypique pour un bio, Sébastien David a passé sept ans aux États-Unis, à vinifier des « vins de fruits », des rosés élaborés à partir de pommes, poires, pêches… « Ça m'a permis de voyager à l'intérieur des États-Unis »… Il était aussi très intéressé par le côté chimie… « Ils ne voulaient pas d'intrants : la norme organique est plus compliquée aux États-Unis que le bio ici. » Revenu sur le domaine en 1999, à Saint-Nicolas-de-Bourgueil, un domaine transmis au fil des générations depuis le début du XVIIe siècle, Sébastien s'est très vite orienté vers le bio dans une sorte de continuité au travail que faisaient ses grands-parents autrefois : « C'était les chevaux, ils mettaient rien… » Avec Jacques Carroget installé dans les coteaux d'Ancenis, ils ont créé Loire vin bio, une structure qui rassemble désormais 1 280 adhérents, soit 70 % des vignerons bio de la Loire. « On s'est dit : On est un groupement reconnu par personne. On a pris notre bâton de pèlerin et, donc, on a une interpro bio, on est intégrés dans la confédération de toutes les structures qui interviennent dans les vins du Val de Loire, on a une voix parmi les huit autres. Il n'y a aucune autre région de France qui donne cette place aux vignerons bio. » Depuis 2017, Loire vin bio est représentée au sein de l'interprofession des vins de Loire.

Le Point : Il y a une sorte de paradoxe. Le bio a le vent en poupe. Les jeunes vignerons que l'on rencontre ont envie de travailler selon ces critères, mais sans label, car ils trouvent trop contraignant de devoir suivre à la lettre les principes, notamment la réduction du cuivre à 4 kilos par hectare. Les dernières années, les météos compliquées ont refroidi les enthousiasmes, notamment avec le mildiou. Est-ce que vous faites le même constat ?

Sébastien David : Je pense qu'il y a deux positionnements bien distincts : les vignerons bio attachés aux labels quels qu'ils soient, qui considèrent que le fait de l'engagement n'est pas uniquement une dialectique, mais plutôt le confortement d'un engagement personnel. Et, bien sûr, toute une partie (plus ou moins grande et nombreuse) de néo-vignerons, mais pas que, aussi de « retardataires » à l'allumage, qui sentent bien que le vent commercial a tourné depuis quelques années. L'implication de chacun révèle toute notre société actuelle. Les vignerons qui ne souhaitent pas de labélisation – sous couvert de coût ou de complications administratives – ne cherchent même pas à savoir si, depuis le temps que le fédéralisme bio existe (initialement dans les débuts 1970), il porte des leviers techniques et économiques (aides à la conversion ou au maintien). Le nombre de GAB (groupements des agriculteurs biologiques) en France est quasiment à son maximum. Avec les aides et outils techniques à l'heure d'Internet et du conseil « volant », chacun peut grappiller et récupérer des données, voire échanger avec ses confrères sur des forums ou dans des salons de plus en plus nombreux. Par idéologie primaire peut-être, en Loire, de façon officielle nous soutenons les acteurs de la filière bio en leur abaissant les coûts des stands lors des salons s'ils participent à ces groupes de travail bio officiels. On sait aujourd'hui que la technicité du travail en bio (réglages des labours, prise en compte de la faune et la flore, respect des bonnes pratiques) est la plus complexe de toutes les agricultures hexagonales. Le bio est le seul Siqo « environnemental » (signes d'identification de la qualité et de l'origine des produits agricoles) qui se trouve avoir une obligation de résultat, ce qui n'est pas sans conséquence sur l'économie de la ferme. Le dossier cuivre n'est pas terminé, mais il apparaît, clairement, que c'est à cause d'un manque d'investissements des firmes, des pouvoirs publics, et des agriculteurs eux-mêmes qu'on laisse planer un doute sur la filière bio (pas uniquement en vignes). On aura tous remarqué que le désengagement de l'État via l'Inra et donc l'Entav (Établissement national technique amélioration viticulture associé à l'Inra) dans les années 1980 a précipité le pôle pépinière dans l'impasse actuelle (mortalité énorme du parc français). Le nombre de déconversions en 2018 sera connu dans quelques mois, le 31 juillet. Mais il semble faible, voire infinitésimal, chez Demeter, par exemple (un des cahiers des charges le plus restrictif à l'heure actuelle). Les mises aux normes des exploitations (meilleurs systèmes de traitement, panneaux récupérateurs, etc.) dues aux Grenelles, et donc au plan Ecophyto, semblent être le seul point positif dont l'ensemble de la profession peut se targuer. En revanche, il est sûr et certain que de réels progrès sont dus à l'évolution des cahiers des charges non plus seulement à caractères couperets, mais grâce à des contrôles complémentaires participatifs. Ils ont comme but l'amélioration chez celui qui est « audité » et créent une émulation vers de meilleures pratiques. Le vigneron n'est plus seul dans sa démarche. À la moindre impasse technique, ses collègues sont là pour l'aider. La prise de conscience des dérives et autres travers est bien opérationnelle de nos jours.

Faut-il modifier les labels pour redonner envie, faire qu'ils soient plus tolérants, par exemple en autorisant un traitement chimique une fois tous les trois ou cinq ans ? Après tout la lutte contre la cicadelle ne se déroule pas sans accroc.

Pendant de nombreuses années ce sont des vignerons non producteurs bio qui siégeaient à l'Inao en commission de représentation de la bio par manque d'implication des vignerons bio certifiés eux-mêmes. Ce sont les mêmes qui, aujourd'hui, ont pris conscience de l'inexorable mutation et direction écologiques de toute l'agriculture et qui souhaitent un bio au rabais. En interne, nous travaillons plutôt sur une clarification, que sur une simplification. Ainsi, les cahiers des charges se doivent d'être plus faciles à comprendre par le grand public qui se perd dans les chapelles. Ils se doivent aussi d'être lisibles et lus par les vignerons eux-mêmes. C'en est fini du « ah bon, je croyais… » Notre corporation est prête à travailler sur des sujets communs à toute la filière, la lutte contre la cicadelle (insecte dont la larve se nourrit de la sève) se fait par repérage par les vignerons dans les appellations ou bassins. Il n'y a pas de différence, encore une fois. De nos jours, la filière bio est sûrement un cran en avance, car le fait de ne pas avoir de produits phytopharmaceutiques de synthèse à disposition nous oblige à encore plus de prévention et d'observation. L'équilibre écologique est le meilleur rempart actuellement contre la prolifération de tels vecteurs. Emmanuel Giboulot, qui avait refusé de traiter ses vignes contre la cicadelle, n'a jamais eu de symptômes sur son domaine, c'est sa proximité avec des parcelles contaminées qui avait poussé le préfet au décret. Nous savons bien que, lorsque sur des sujets comme celui-ci on tend les doigts, c'est jusqu'au coude, voire à l'épaule que les moins méticuleux et scrupuleux s'arrêtent. Une bio à deux vitesses, une avec uniquement des produits dits "minéraux organiques", et l' autre à 90, 80 ou 70 % issus de production organique ferait le jeu, du moins-disant, qui, on le sait, n'est jamais rémunérateur pour les producteurs. Le chemin est long, sinueux, compliqué, c'est la vérité du bio, technicité et pratiques vertueuses sont de mise, mais ne peuvent se construire à la légère.

Comment faire pour redonner au bio une sorte de second souffle ?

Les courbes de la production et de l'attente consommateur vont finalement se croiser d'ici à 2027 (entre offre et demande), mais les outils de prospectives, à l'élaboration desquels j'ai participé au sein de la filière bio il y a deux ans, ont bien montré que la confiance en des produits bio « certifiés » restait le seul moyen de maintenir l'évolution de la production biologique. Il est clair que le changement climatique (gel, sécheresse, épidémies de mildiou...) est la plus grosse incertitude à l'heure actuelle. Mais le « goût » reste notre plus gros atout. Tiré vers le bas, le niveau des AOC baisse par une standardisation technologique, du travail à la vigne jusqu'à la vinification. Le nombre de vignerons français descend, celui des bio monte. Le souffle ne viendra que par la diversité, la biodiversité. Fini les carcans, il faut faire ce que l'on dit, et surtout dire ce que l'on fait. L'évolution du cahier d'étiquetage de l'OIV (Office international du vin) va d'ici à quatre ans permettre une clarification. Les vins sont les seuls produits dans les supermarchés qui n'ont pas l'intégralité de leurs intrants écrits noir sur blanc. La traçabilité est le minimum syndical pour les vignerons bio. La période baba cool semble être révolue, on se tourne désormais vers une bio avec une vision plus moderne qui semble gérer son endurance.

À partir de 2035, un viticulteur bio devra planter des plants certifiés… Quel sera le cahier des charges ? Comme sera-t-on certain que ces plants sont indemnes des maladies qui perturbent le vignoble aujourd'hui ?

La concentration clonale a été le point de départ du dépérissement du vignoble français. Nous nous y attaquons maintenant ce qui est court et long à la fois. Il reste quinze ans et c'est déjà demain. Mais par leur désobéissance latente depuis plus de vingt ans des pépiniéristes ont déjà commencé le travail. Nous allons en concertation avec les vignerons, les pépiniéristes et les services de l'État mettre à plat et réécrire le protocole de production. Encore une fois, la chance vient du fait que certains n'ont jamais perdu de vue que cela allait tourner au fiasco, ainsi ils sont prêts à repartir du pépin. Les mutations génétiques pour des ceps trafiqués sont vouées à une dérive (effet mutagène) obligatoire. La nature a horreur du vide, à chaque fois que l'homme veut combler ce vide, la nature crée une autre problématique. Il nous faut investir tout le champ du possible avec la plus grande diversité effective. On ne peut vivre dans un monde aseptisé, la majeure partie des personnes qui contracte un staphylocoque doré ne le choppe pas en ville ou dans le métro, mais bien à l'hôpital, dans des services hyper aseptisés. La multiplication massale à faible niveau quantitatif de reproducteurs reste à l'heure actuelle la réponse adaptée. L'uniformisation est le problème actuel, on ne vit pas sous cloche, surtout pour le bio qui a dans son ADN la filiation entre la terre, l'air et la lumière…

Source : https://www.lepoint.fr/vin/le-vin-et-le ... 82_581.php
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Jean-Pierre NIEUDAN
 
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