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Ce que le vin doit Ă  la mondialisation

Messagepar Jean-Pierre NIEUDAN » Mer 22 Mai 2019 05:45

Deux chercheurs reviennent sur l'évolution de la production vinicole ces deux derniers siècles.

Mondialisation et vin sont deux mots qui attisent l'imaginaire des amateurs, pour le meilleur ou pour le pire. On pense à l'atteinte aux identités nationales, à l'homogénéisation de la production et des goûts, à la surproduction. Néanmoins, les données avancées par Kym Anderson et Vicente Pinilla, pionniers de l'analyse statistique du secteur, nous montrent un marché vinicole bien différent des fantasmes qui animent les critiques populaires contre la mondialisation du vin. Anderson et Pinilla affirment ainsi que, loin d'un boom productif et d'une homogénéisation industrielle, le marché mondial du vin a en réalité pratiquement stagné dans sa production depuis les années 1960 et que l'hétérogénéité de l'offre ne cesse d'augmenter. Par ailleurs, la principale menace pour le secteur vinicole ne vient pas de la concurrence intercontinentale exacerbée entre producteurs de vin, mais surtout de la part de marché grandissante d'autres boissons alcooliques, comme la bière et les spiritueux.

Les différentes études compilées par Anderson et Pinilla analysent trois périodes. La première vague de globalisation, allant de 1860 jusqu'à la Grande Guerre, puis l'entre-deux-guerres et la sortie de la Seconde Guerre mondiale et, finalement, la deuxième vague de globalisation, qui va des années 1960 à nos jours. L'idée d'un âge d'or européen, surtout français, vient de la situation du marché vinicole pendant la première vague de globalisation, quand l'Europe était responsable de 80 % et 85 % de la production et de la consommation mondiales de vin. Le grand chamboulement de cette première vague de mondialisation du vin a été une restructuration de la production européenne à cause de l'arrivée du phylloxéra. La France, première affectée par l'insecte, cherche à se fournir chez ses voisins italiens, espagnols et portugais, ainsi qu'en Algérie. Elle n'hésite donc pas à leur fournir des boutures de ses cépages préférés pour satisfaire sa soif, qui pouvait atteindre presque 50 % de la consommation mondiale – autour de 5 500 millions de litres sur 11 000, quelque 140 litres par Français et par an. Cette exportation des cépages et la domination du consommateur français provoquent alors une hausse de l'homogénéisation du vin exporté dans le monde. Le bilan de cette première vague est une domination toujours européenne, mais un peu plus diversifiée en fournisseurs.

Essor de nouvelles boissons

L'interrègne des deux vagues voit les premiers pas des vignobles du Nouveau Monde, pas encore capables de menacer l'Europe mais de plus en plus prêts à conquérir leurs marchés locaux. La principale raison est le développement économique accéléré qui s'opère aux Amériques et en Océanie, surtout en matière d'infrastructures des transports et de communications. La Grande Guerre puis la Seconde Guerre mondiale vont grandement stimuler la production locale. De notre côté de l'Atlantique, la grande nouveauté est la prééminence de l'Algérie française, qui devient alors le premier exportateur mondial. Les guerres et la reconstruction en Europe représentent aussi une grande opportunité pour d'autres boissons : le grand avantage de la bière et des spiritueux est que leur qualité ne dépend pas des conditions du terroir, mais de la production en brasserie ou en alambic. Sans oublier que l'homogénéité de la bière, incarnée parfaitement dans le style « pils », permet la concentration des marchés par les gains dus aux économies d'échelle. Les grands conglomérats de la bière voient ainsi le jour en Amérique et en Europe. Avec la taille viennent aussi les moyens de promotion d'une marque, un avantage dont les petits producteurs de vin ne peuvent pas bénéficier.

La deuxième vague de mondialisation commence vraiment dans les années 1960. Le Nouveau Monde concurrence maintenant les vins européens dans les marchés internationaux, pesant ainsi presque 30 % de la production et 25 % des exportations mondiales de vin dans les années 2010, contre 50 % de la production et 58 % des exportations pour les quatre grands pays européens (Italie, France, Espagne et Portugal) sur la même période. C'est aussi à partir des années 1960 que le secteur vinicole voit sa production globale passer de 21 000 millions à 31 000 millions de litres dans les années 1980, pour stagner autour de 27 000 millions de litres depuis les années 1990. Autrement dit, il n'y a pas de surproduction mondiale de vin, car, entre-temps, la consommation d'autres boissons a augmenté.

Plus d'offres et de qualité

La situation actuelle du marché vinicole à la suite des deux grandes vagues de mondialisation se traduit par une plus grande hétérogénéité de l'offre, quantitativement stagnante mais qualitativement meilleure. Anderson et Pinilla nous montrent également que la consommation de vin dans le monde a diminué de plus de 50 %. Pour la même période, la consommation de bière dans le monde passe de 0,8 à 1,2 litre par tête (une hausse de 50 %) et celle des spiritueux, de 1,1 à 1,6 litre par tête (+ 45 %). En réalité, les habitudes changent. Les marchés traditionnels du vin, l'Europe occidentale et l'Amérique latine, voient leur consommation de vin diminuer en faveur de la bière et des spiritueux, probablement à cause de l'envol des prix des bonnes bouteilles de ces pays.

En tout cas, au fur et à mesure que les revenus mondiaux augmentent et que les pays en voie de développement s'intègrent aux marchés internationaux, la demande devient de plus en plus exigeante en termes de qualité, de variété et de prix. C'est un phénomène évident avec la bière et l'ascension des brasseurs artisanaux, et c'est aussi le cas du vin. Le marché potentiel dans le Nouveau Monde, en Afrique et en Asie justifie de manière grandissante le lancement de nouveaux projets locaux en parallèle des appellations européennes traditionnelles. Avec la mondialisation, les producteurs européens ne peuvent plus compter sur leur seule réputation et devront être avant-gardistes pour garder leurs parts de marché.

Par Gabriel Giménez Roche
Enseignant-chercheur en Ă©conomie Ă  Neoma Business School

Source : https://www.lepoint.fr/phebe/phebe-ce-q ... 5_3590.php
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