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Grands crus de l’Etat, l’ivresse du pouvoir

Messagepar Jean-Pierre NIEUDAN » Mar 14 AoĂ»t 2018 22:06

Les caves du Sénat et de l’Assemblée nationale faisaient rêver. Les élus y faisaient briller leurs terroirs. Mais la nouvelle majorité a soif de changement.

Révolution de palais à l’Assemblée nationale ! Ce n’est pas le sang qui coule, mais le vin. La Chambre des députés a revendu cette année 5 000 bouteilles à leurs producteurs, du jamais-vu dans l’histoire de l’institution. « Nous risquions le surstock à la buvette. Les nouveaux députés consomment six ou sept fois moins de vin que ceux de la précédente législature, alors que la consommation de Coca Light s’est envolée , expliquait, juste avant de quitter la questure, le député Thierry Solère (LREM). Le jeune parlementaire boit peu, y compris le jeune élu LR. » Faut-il le regretter ? Le député ventru, fumant cigare un digestif à la main avant d’aller s’assoupir dans l’Hémicycle, est en voie d’extinction. La vente des stocks a rapporté 77 000 euros à l’Assemblée, ce qui représente une goutte d’eau dans un budget annuel de plus de 500 millions d’euros. Pour mémoire, la vente aux enchères de 1 200 grands crus, cognacs et champagnes de l’Elysée à Drouot, en 2013, avait atteint 718 800 euros. A croire que la vertu des caves de la République se mesure désormais au montant des ventes plutôt qu’aux noms prestigieux des flacons qu’elles renferment.

Noms d’oiseau
Est-il seulement concevable, en France, de faire de la politique sans la dive bouteille ? « Le vin est un élément essentiel au pouvoir », raconte Didier Nourrisson, auteur d’« Une histoire du vin » (Perrin). « Celui qui a un verre de vin à la main garde son épée rangée » , décrypte l’érudit, par ailleurs neveu d’un ancien préposé de la buvette du Palais-Bourbon. Il garde des souvenirs d’enfance de ce lieu chargé d’Histoire et de vins : « J’y ai vu des chefs de parti se réconcilier au comptoir alors qu’ils se lançaient des noms d’oiseau cinq minutes plus tôt dans l’Hémicycle. C’est le lieu de pouvoir par excellence, car c’est ici que se rapprochent les irréconciliables, que se préparent les votes et que s’arrondissent les angles. C’est peut-être le seul lieu où se fabriquait la vraie politique. Et le vin n’était jamais loin. » Certains députés sont devenus célèbres grâce à l’alcool qu’ils produisaient, à moins que ce ne soit l’inverse… « Taittinger, Cointreau ou Kir étaient producteurs-viticulteurs ou liquoristes », rappelle Bruno Fuligni , historien spécialiste de l’Assemblée, qui raconte comment Armand Fallières « devint le président de la République [1906-1913] le plus populaire de l’histoire de France grâce à sa vigne. Il s’en occupait pendant les vendanges et produisait un petit vin, le Loupillon, qui l’a rendu proche des Français ».

Un jour que des écologistes allemands avaient envoyé des joints de haschisch à tous les élus du Bundestag, le député André Santini fut invité à réagir salle des Quatre-Colonnes : « Que voulez-vous que ça me fasse, nous, on a le Haut-Marbuzet ! » a rétorqué l’épicurien. Voilà un vin du Médoc, produit à Saint-Estèphe, qui a su se faire une place dans toutes les caves de la République, au point de devenir le vin préféré des politiques français. « J’ai commencé à fournir la buvette de l’Assemblée nationale en 1978, se remémore Henri Duboscq, propriétaire du Château Haut-Marbuzet, qui, à 75 ans, a passé la main à ses deux fils. Ceux qui devenaient sénateurs demandaient du Haut-Marbuzet à la buvette du Sénat. J’ai donc approvisionné le Sénat. Puis certains sont devenus ministres. J’ai donc commencé à livrer les ministères. » C’est ainsi que Gaston Defferre, Henri Emmanuelli, Jean Glavany, Lionel Jospin ou François Mitterrand sont devenus des inconditionnels de ce nectar, car « il en va du vin comme de la conjugalité, on finit toujours par revenir à ce que l’on connaît », se réjouit le vigneron, qui a bien volontiers accepté de reprendre quelques centaines de bouteilles à l’Assemblée assagie.

L’héritage Monory
Ce serait une faute de goût de confondre les caves du Palais-Bourbon avec celles de l’hôtel de Lassay, où réside le président de l’Assemblée. A 12 mètres sous le tumulte de la rue vieillissent les meilleurs crus des grands vignobles français, dont les plus belles bouteilles sont débouchées pour des visites d’Etat. « Les visiteurs étrangers attendent qu’on leur serve le meilleur et l’on se doit d’être à la hauteur », rappelle l’ancien président de l’Assemblée Bernard Accoyer. Certains invités se passionnent pour l’art viticole français. « En 2009, j’ai reçu le président de l’Assemblée populaire de Chine à un dîner officiel. Après le dessert, je l’ai emmené visiter la cave de Lassay, ce qui a profondément inquiété son service de sécurité, mais l’a énormément ému », poursuit-il. Cette cave est-elle bien, comme le dit la légende, la plus belle de la République ? « Ça l’était quand je présidais l’Assemblée et j’espère que ça l’est toujours. Je serais tout à fait consterné à l’idée qu’on veuille en céder une partie », prévient-il, avant de glisser cette ultime remarque en guise de message politique : « Tout à fait entre nous, je n’aime pas trop le vin bio. » François de Rugy, actuel maître des lieux et ancien écologiste, appréciera.

Si les caves de Lassay doivent leur légende au Bordelais Jacques Chaban-Delmas, celles du Sénat doivent leur renommée à René Monory. « Lorsqu’il a pris la présidence du Sénat, en 1992, il a lancé des grands travaux et agrandi les caves, qui ont changé de catégorie. Elles étaient sur des standards de maison bourgeoise et dépassent désormais celles des ministères d’Etat » , s’empourpre un amoureux des lieux. Mais les prix des primeurs ont flambé et les crédits budgétaires destinés au vin ont fondu. « On doit dépenser aujourd’hui le cinquième du budget consacré au vin dans les années fastes ! La présidence du Sénat vit sur les dernières bouteilles de l’héritage Monory », se désole l’expert. Mais il reste au Sénat quelques Château Margaux, Château Lafite ou Château Haut-Brion, « qu’on ne sort que pour les très grandes occasions » . L’essentiel des achats, c’est l’indémodable champagne. Fait rassurant, un agent supervise les stocks et pas une bouteille ne sort sans être portée à l’inventaire, mention faite de son usage. « Aujourd’hui, il doit rester entre 15 000 et 20 000 bouteilles dans les caves de la présidence », estime le connaisseur des lieux.

Prix coûtant
Les initiés savent que le palais du Luxembourg ne compte pas une, mais trois caves ! Celle de la présidence, donc, celle du service Logistique et moyens, où sénateurs et employés peuvent acheter des bouteilles à prix coûtant le mercredi après-midi, et enfin les caves du restaurant du Sénat, qui propose à la carte – c’est une tradition – les recommandations des sénateurs. Ce sont surtout les élus de terroirs viticoles qui se prêtent au jeu. Par exemple, Gilbert Bouchet, sénateur de la Drôme, recommande un croze-hermitage de la maison Chapoutier. « Il arrive que les sénateurs s’interpellent par le nom des étiquettes des bouteilles qu’ils recommandent. Moi, c’est “Salut l’Hermitage !” », s’amuse l’édile, qui espère se bonifier avec le temps. « Le vin réunit les hommes et l’eau les sépare », philosophe François Patriat, sénateur de Côte-d’Or, qui recommande un hautes-côtes-de-nuits 2014. Au Luxembourg aussi, la baisse – relative – de la moyenne d’âge (61 ans), la féminisation – relative – de la Chambre haute (25 %) et l’observance – relative – des conseils sanitaires délivrés par le ministère de la Santé font baisser la consommation chez les élus. « A tel point que l’on voit même des sénateurs déjeuner sans vin ! » s’étonne un ancien. Décidément, tout fout le camp§

Et l’Elysée ?
« Le vin se déplace vers les lieux du pouvoir. Aujourd’hui, l’activité vinique importante de la République converge vers l’Elysée. Emmanuel Macron a compris le pouvoir du vin, il reconstitue les caves que François Hollande avait négligées », affirme un acteur du secteur viticole. Depuis une dizaine d’années, c’est la sommelière Virginie Routis qui détient les clés de la cave du 55, rue du Faubourg-Saint- Honoré. Elle veille sur un sanctuaire où dorment les vins les plus prestigieux servis aux grands de ce monde. « Il arrive que l’Elysée demande aux grandes maisons de fournir gracieusement de grands vins pour de grandes occasions », explique Laurent Stefanini, chef du protocole de la République française de 2010 à 2016. « Tous les politiques le savent, le vin est une arme diplomatique redoutable », confie Guillaume Joubin, sommelier de l’Elysée sous Chirac, un président qui ne cachait pas son amour pour une bière mexicaine !

Par Clément Pétreault
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La vérité est dans la bouteille ..( Lao Tseu )
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Jean-Pierre NIEUDAN
 
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