.AmĂ©lie Mauresmo : "J'aimerais vraiment faire mon vin"Capitaine de lâĂ©quipe de France fĂ©minine de tennis, elle associe Ă 37 ans le plaisir du vin et une parfaite condition physique. Leçon dâhĂ©donisme par une championne.FICHE D'IDENTITĂ Nom : Mauresmo
Prénom : Amélie
NĂ© le : 5 juillet 1979 Ă Saint-Germain-en-Laye.
Profession : joueuse de tennis professionnelle de 1993 Ă 2009. Vainqueur de 25 tournois dans sa carriĂšre, dont deux titres du Grand Chelem : l'Open d'Australie et Wimbledon en 2006. Ex-numĂ©ro 1, elle est capitaine de l'Ă©quipe de France de la Fed Cup depuis 2012 et entraine l'Ăcossais Andy Murray depuis 2014.
Signe particulier : elle possÚde une cave de 2.500 bouteilles, qu'elle renouvelle tout au long de l'année, personnellement.
Ses plus grands vins dégustés : Chùteau d'Yquem 1937 et Chùteau Mouton Rothschild 1945.
POUR FĂTER WIMBLEDON, J'AI OUVERT UN CHĂTEAU D'YQUEM 1937.La Revue du vin de France : Vous apprĂ©ciez le vin et Ă©voquez publiquement votre passion pour les grands crus. Câest rare pour une sportive de haut niveau, non ?
AmĂ©lie Mauresmo : Je ne suis certainement pas la seule ! Mais je pense surtout quâil y a plusieurs façons dâaimer le vin. Quand on mĂšne une carriĂšre professionnelle, on peut dĂ©guster, mais cela reste ponctuel, voire trĂšs occasionnel. En revanche, pendant cette pĂ©riode, je me suis Ă©normĂ©ment cultivĂ©e en lisant beaucoup sur les vignobles du monde, les pratiques de vinifcation, les styles des vins. Ce que je continue dâailleurs Ă faire aujourdâhui. Jâaime les valeurs de partage que vĂ©hicule le vin, comme dans le sport.
La RVF : Comment vous est venu cet intĂ©rĂȘt pour le vin ?
AmĂ©lie Mauresmo : Originaire de Nuits-Saint-Georges, mon amie et entraĂźneuse Alexia Dechaume (cette ancienne joueuse a entraĂźnĂ© AmĂ©lie Mauresmo de 2000 Ă 2002 avant de piloter sa communication, ndlr) mâa fait dĂ©guster mes premiers vins rouges vers lâĂąge de 22 ans. Si mes souvenirs sont bons, câĂ©tait du bordeaux. Le vin nâĂ©tait pas pour elle une dĂ©couverte comme pour moi.
La RVF : Ce nâest donc pas une passion liĂ©e Ă votre Ă©ducation, Ă votre culture familiale ?
Amélie Mauresmo : Absolument pas ! On ne buvait quasiment pas de vin chez mes parents !
La RVF : Vous avez une cave trÚs bordelaise, est-ce lié au goût du vin ?
AmĂ©lie Mauresmo : En fait, jâai dĂ©butĂ© mon initiation Ă la dĂ©gustation avec des vins de Bordeaux, comme beaucoup de monde je pense. Jâai lâimpression quâen terme de comprĂ©hension, Bordeaux est un vignoble plus accessible. Un vin de Bordeaux correspond Ă un chĂąteau, une appellation et un millĂ©sime. Du coup, câest trĂšs logiquement avec des bordeaux que jâai commencĂ© Ă constituer ma cave.
La RVF : Quels sont vos bordeaux favoris ?
AmĂ©lie Mauresmo : Les goĂ»ts Ă©voluent, rien nâest figĂ©. Et câest ça qui me plaĂźt dans le vin, câest sans fin. Ă mes dĂ©buts, la Rive gauche de Bordeaux a eu mes faveurs, avec une prĂ©fĂ©rence pour les grands vins de Pauillac, Margaux et Saint-Julien. Je me souviens dâailleurs que le premier grand vin de Bordeaux qui ait marquĂ© mon esprit Ă©tait un saint-julien, un ChĂąteau Gruaud Larose dĂ©gustĂ© il y a une quinzaine dâannĂ©es. Puis, je me suis intĂ©ressĂ©e Ă la Rive droite, avec Saint-Ămilion et Pomerol. Câest vrai que jâaime bien le bordeauxâŠ
La RVF : Vous avez bu des vins de lĂ©gende comme Yquem 1937 ou Mouton Rothschild 1945⊠Ătes-vous Ă©galement une grande amatrice de vieux millĂ©simes ?
AmĂ©lie Mauresmo: Câest tellement diffĂ©rent de boire des vieux vins. Il y a lâhistoire de la bouteille, les dĂ©cennies quâelle a traversĂ©es, lâĂ©vocation de ceux qui lâont produite, dans quelles conditions. Et surtout, les saveurs et les arĂŽmes qui peuvent ĂȘtre tellement chargĂ©s dâĂ©motion.
La RVF : Et ce chĂąteau dâYquem 1937 ?
AmĂ©lie Mauresmo : Câest une bouteille que jâavais achetĂ©e et rĂ©servĂ©e pour fĂȘter la victoire dâun tournoi du Grand Chelem. CâĂ©tait vraiment important pour moi, une motivation pour emporter la victoire, une rĂ©compense. Je lâai ouverte en 2007 avec mes amis proches, un an aprĂšs ma victoire Ă Wimbledon en 2006.
"JE DĂGUSTE SURTOUT AVEC MON INSTINCT"La RVF : Vous ne dĂ©gustez donc pas de vins jeunes ?
AmĂ©lie Mauresmo : Effectivement, jâai du mal Ă apprĂ©hender les vins jeunes. Pour apprĂ©cier pleinement un vin, jâai besoin quâil ait atteint un peu de maturitĂ© et que lâĂ©levage soit fondu. Pour moi, lâexpression dâun vin doit ĂȘtre accomplie pour que je prenne du plaisir.
La RVF : Ne buvez-vous du vin quâĂ table ?
AmĂ©lie Mauresmo : Non pas forcĂ©ment. Il mâarrive souvent dâouvrir une bonne bouteille avant de passer Ă table.
La RVF : Le vin câest aussi des visites dans les domaines. Avez-vous beaucoup arpentĂ© le vignoble ?
AmĂ©lie Mauresmo : Ă Bordeaux Ă plusieurs reprises et en Bourgogne oĂč jâespĂšre revenir prochainement. Par contre, je ne connais pas du tout la vallĂ©e du RhĂŽne et jâaimerais beaucoup y faire un tour, ne serait-ce que pour comprendre la gĂ©ographie et les nuances des paysages qui expliquent souvent les caractĂ©ristiques des vins. Cela ne mâa pas empĂȘchĂ©e de mettre en cave quelques trĂšs belles bouteilles de CĂŽte RĂŽtie et de ChĂąteauneuf-du-Pape.
La RVF : Quand vous évoquez la Bourgogne, on pense tout de suite aux blancs pour lesquels vous avez, semble-t-il, une préférence ?
AmĂ©lie Mauresmo : Vous mâauriez posĂ© cette question il y a six mois, je vous aurais rĂ©pondu non ! Comme quoi les goĂ»ts Ă©voluent. Aujourdâhui, je dĂ©couvre les grands vins blancs de Bourgogne, mais aussi les Vendanges tardives et les SĂ©lections de grains nobles alsaciennes, et jâadore les blancs secs de la vallĂ©e de la Loire. Jâai vraiment envie dâexplorer cette couleur. En revanche, il y a un vin sur lequel je fais un petit blocage, câest le champagne, surtout quand il est jeune. Jâaime quand la bulle est moins vive et moins prĂ©sente. GrĂące Ă Didier Depond (le prĂ©sident des champagnes Salon et Delamotte, ndlr), jâai eu la chance de dĂ©guster Salon 1983 et 1988. CâĂ©tait exceptionnel.
La RVF : Selon des Ă©tudes scientifiques rĂ©centes, le vin et la dĂ©gustation de vin entretiendraient la mĂ©moire (lire La RVF n° 591). Quâen pensez-vous ?
AmĂ©lie Mauresmo : Je suis totalement dâaccord. Jâessaie toujours de mâimprĂ©gner et de mĂ©moriser les vins que je dĂ©guste. Avec mes mots et surtout mon instinct, car jâai encore du mal Ă dĂ©crire un vin, je vis mes propres sensations. Et pour cela, je pratique souvent la dĂ©gustation Ă lâaveugle. Dâabord, câest un jeu et surtout ça me laisse une libertĂ© totale de jugement. Jâaime le jeu, et la dĂ©gustation Ă lâaveugle permet une approche vraiment ludique du vin. ApprĂ©hender un vin Ă lâaveugle oblige Ă rĂ©fĂ©chir, Ă se concentrer sur le vin que lâon boit.
La RVF : Peut-on consommer du vin tout en pratiquant un sport de haut niveau ?
AmĂ©lie Mauresmo : A priori non, surtout si lâon veut assouvir pleinement sa passion ! Personnellement, aprĂšs une victoire ou une longue tournĂ©e aux Ătats-Unis ou en Australie, je mâautorisais un moment de dĂ©tente autour dâune bonne bouteille. Mais câĂ©tait âune petite sortie de routeâ par rapport Ă mon hygiĂšne de vie habituelle. Je vous rassure, câĂ©tait trĂšs occasionnel et trĂšs raisonnable en quantitĂ©. MĂȘme aujourdâhui, je ne bois pas tous les jours.
La RVF : Comment achetez-vous vos vins ?
AmĂ©lie Mauresmo : Je nâai pas une seule façon de mâapprovisionner en bonnes bouteilles. Jâadore acheter directement Ă la propriĂ©tĂ© car jâaime le contact avec les vignerons, avec ceux qui font le vin. Sinon, quand je suis sur la CĂŽte basque, jâachĂšte chez des cavistes comme ici Ă lâArtnoa, Ă Biarritz. Et puis dans les ventes aux enchĂšres. Il mâest arrivĂ© dâacheter des vieux millĂ©simes sur des sites internet. Je me souviens dâavoir acquis ma bouteille de ChĂąteau Mouton Rothschild 1945 sur eBay. Mais je ne mây risque plus depuis quelques annĂ©es ! Avec un peu de recul, je mâen suis trĂšs bien sortie en prenant des risques sur des millĂ©simes anciens. Maintenant, je fais tourner ma cave en achetant de jeunes millĂ©simes que je laisse vieillir.
La RVF : Comme beaucoup dâamateurs, vous suivez Ă©galement les campagnes des ventes de vins en primeur, notamment Ă Bordeaux ?
AmĂ©lie Mauresmo : Ăvidemment, le dernier millĂ©sime pour lequel jâai effectuĂ© pas mal de rĂ©servations est 2012. Mais je nâai pas touchĂ© au 2013 ! Je dois nĂ©anmoins ralentir mes achats, car aujourdâhui je possĂšde 2.500 bouteilles ! Comme beaucoup dâamoureux du vin, je fais rentrer plus de bouteilles que je nâen bois...
La RVF : Vous qui aimez Bordeaux, nâĂȘtes-vous pas surprise par la hausse des prix des grands chĂąteaux ?
AmĂ©lie Mauresmo : HonnĂȘtement, en tant que consommatrice, je suis un peu Ă©nervĂ©e par ces prix dĂ©lirants ! Je nâachĂšte plus certains vins dont je juge les prix prohibitifs. Et, depuis quelque temps, je fais beaucoup plus attention au rapport qualitĂ©/prix dâun vin. Aujourdâhui, jâai une meilleure connaissance du vignoble, jâai Ă©largi mes horizons et grĂące Ă cela, je me rends compte que pour cinq Ă dix fois moins cher je trouve de meilleurs vins en dehors de Bordeaux !
"PLUS TARD, J'AIMERAIS ACHETER DES VIGNES."La RVF : Lâenvie de vous offrir une propriĂ©tĂ© et de produire votre propre vin ne vous a jamais tentĂ©e ?
AmĂ©lie Mauresmo : Jâaimerais vraiment le faire un jour, seule ou avec un ami. Mais je me dis que jâai encore un peu temps, je nâai que 35 ans ! Il faut aussi que je dĂ©finisse mieux ce que jâaimerais acheter et dans quel vignoble⊠Attendre aussi lâopportunitĂ©. Jâai dĂ©jĂ eu en mains des dossiers de vente de propriĂ©tĂ©s. Si cela se fait un jour, ce sera vraiment gĂ©nial. Jây pense sĂ©rieusement, pas forcĂ©ment en France dâailleurs. LâItalie ou lâEspagne me tentent bien. Pour lâinstant, je suis encore trĂšs occupĂ©e avec le tennis, mais je devrai un jour tourner la page et faire autre chose.
La RVF : Que pensez-vous des vins Ă©trangers ?
AmĂ©lie Mauresmo : Vous savez, quand je voyage, câest rarement pour aller visiter des domaines et dĂ©guster leurs vins. Le rythme est plutĂŽt aĂ©roport, hĂŽtel, club, tennis⊠Par exemple en Australie, je nâai jamais pu prendre le temps de gagner la Barossa Valley, oĂč lâon produit pourtant dâexcellents vins. Et aux Ătats-Unis, je ne suis jamais allĂ©e dans la Napa Valley ! Les vins Ă©trangers, en dehors de lâEurope, sont encore mystĂ©rieux pour moi.
La RVF : Pourquoi avez-vous soutenu lâAssociation des climats de Bourgogne pour leur inscription au Patrimoine mondial de lâUnesco ?
AmĂ©lie Mauresmo : Câest Aubert de Villaine qui mâa contactĂ©e et naturellement jâai acceptĂ© de soutenir cette initiative. La particularitĂ© des terroirs de Bourgogne et leur caractĂšre unique sont fascinants. De part et dâautre dâune route qui sĂ©pare deux parcelles ou Ă quelques mĂštres dâĂ©cart, des microclimats donnent naissance Ă des vins trĂšs diffĂ©rents, et mĂȘme lorsquâils sont Ă©laborĂ©s par le mĂȘme vigneron. Câest une richesse de la Bourgogne quâil faut absolument dĂ©fendre et protĂ©ger. Cette idĂ©e me plaĂźt.
La RVF : Vous ĂȘtes une trĂšs bonne amie de Patrice Pichet, le propriĂ©taire du chĂąteau Les Carmes Haut-Brion Ă Pessac-LĂ©ognan. Vous aimez son vin ?
AmĂ©lie Mauresmo : Je connaissais de nom le chĂąteau, mais honnĂȘtement, je nâavais jamais dĂ©gustĂ© son vin avant quâil ne le rachĂšte. Le projet de Patrice de tirer le meilleur de ce beau terroir de Pessac-LĂ©ognan est ambitieux, mais je suis confiante : il saura hisser son chĂąteau au plus haut niveau.
La RVF : Ătes-vous sensible au mouvement bio qui bouscule aujourdâhui les codes du monde du vin ?
AmĂ©lie Mauresmo : Je vous avoue que ma culture Ćnologique nâest pas encore assez dĂ©veloppĂ©e pour faire vraiment la diffĂ©rence et comprendre exactement les nuances quâapportent ces modes de culture et de vinification. Ă mon stade, jâĂ©coute, je dĂ©guste, je compare.
La RVF : Appréciez-vous un bon rosé en été ?
AmĂ©lie Mauresmo : Jamais, je nâaime pas ça. Le rosĂ© est un vin qui ne me procure aucun plaisir. Câest une bonne raison, non ? Je ne bois jamais non plus dâeaux-de-vie. Jâaime leurs arĂŽmes, mais leur degrĂ© dâalcool est trop Ă©levĂ© pour moi.
La RVF : Lequel de vos amis sportifs partage la mĂȘme passion pour le vin ?
Amélie Mauresmo : Je dois une partie de la découverte des vins de Bourgogne à Yannick Noah qui est un fou de vins. Nous avons partagé quelques bonnes bouteilles ensemble. Et Michaël Llodra qui est aussi un véritable amoureux du vin. Michaël adore ça.
La RVF : Pour nos lecteurs, auriez-vous une bonne table Ă conseiller ?
AmĂ©lie Mauresmo : Sans hĂ©sitation, BenoĂźt Violier, le successeur de Philippe Rochat au Restaurant de lâHĂŽtel de Ville Crissier, dans le canton de Vaud, en Suisse. Jâadore ce chef que je considĂšre comme un gĂ©nie. Jâai dĂ©couvert Philippe Rochat il y a dix ans quand BenoĂźt Violier Ă©tait encore son second. Depuis quâil a repris lâĂ©tablissement, il est Ă la fois dans la continuitĂ© et lâinnovation culinaire.
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