par julien dubertret » Sam 28 Fév 2009 14:08
Ecrire sur les verres est toujours délicat. Il y a tellement à dire.
Chacun s'accorde à penser pour peu qu'il soit sensible à l'idée de vin, qu'il y a un verre approprié et qu'il n'est certainement pas ce verre à moutarde aux motifs de dessins animés, ni cet autre verre sans pied, à facettes bien souvent, ce gobelet dévolu à l'eau (bien que des esprits dit contemporains s'amusent à en déplacer l'usage et la silhouette pour le conduire vers le vin). Servirait-on du vin dans un verre à bière? Dans un verre à cognac? Dans un verre à grappa? Dans une tasse à thé, fusse t'elle en terre de potier artisanale? Non, le vin a droit à son verre, qui a de très rares exceptions près pourrait se résumer au verre à pied. Il est en général transparent, à motif, de couleur, ou neutre. Le forme du gobelet va du ballon à la tulipe en passant par des designs plus tranchés, plus stylisés.
Pourquoi a t'on besoin d'un verre à pied, pourquoi a t'on ajouté un pied à ce simple gobelet? Quelle incidence que ce pied? Les réponses sont innombrables, mais peut-être peut-on en avancer quelques unes. Il y a d'abord un phénomène culturel, nous élevons le vin au dessus de l'eau, nous lui donnons un statut particulier, il est ainsi plus aérien, le pied touche le sol, la terre; le vin est entre ciel et terre. Le pied permet de ne pas toucher le gobelet, de garder la paraison exempte de traces de doigts pouvant altérer la vision du divin nectar. Le pied permet aussi à la main de ne pas faire écran. On dit souvent que cela permet aussi de ne pas réchauffer le vin avec la chaleur de la main. Je doute que le vin se réchauffe sensiblement au contact de notre main, elle tient peu le verre, et l'air ambiant a surement une influence plus notable. Mais l'objet n'est pas tant d'aporter des réponses aux multiples questions que soulève le verre, au contraire, il faut ouvrir la vanne de questions, et découvrir que les facteurs sont tellement multiples qu'on ne peut apporter une réponse unique, englobant l'ensemble, il faut donc garder l'esprit ouvert, et l'intuition en éveil.
Quand on est amateur de vin, on passe donc au stade de l'exigence vis à vis du verre, on investit cette sphère, on s'équipe. On délaisse les verres à motifs pour des verres plus appropriés. Cela commence souvent par les verres INAO, et puis on fait ses emplettes parmi les multiples modèles proposés par les nombreuses marques (Sshottszwiesel, Artzwiller, Cristal d'Arques/Mikasa, Spiegelau, Riedel, L'esprit du Vin...) L'offre est immense, et nous nous laissons guider justement par des réponses simplistes et toutes faites. Tel verre est bien adapté au Chardonnay, tel autre formidable pour les vins jeunes, tel autre ne se casse pas car il contient un métal aux vertus magiques... A bien y regarder on pourrait se croire dans une foire du farwest, avec ses colporteurs.
Pour éviter de se laisser piéger par la langue mielleuse du boniment, il est important de réfléchir aux différents éléments qui composent la dégustation : vin, verre, dégustateur, environnement direct.
Ces quatre éléments peuvent fonctionner ensemble, il en résulte une harmonie, et une belle dégustation, ces mêmes éléments peuvent se chevaucher, se contredire,se dissocier, il en résulte une disharmonie, une dissonance, une mauvaise dégustation, et bien souvent c'est alors le vin qui est jugé sévèrement alors que les trois autres élèments peuvent aussi en être la cause. Mauvais état d'esprit du dégustateur, mauvais environement, ou mauvais verre ! On considère souvent le verre comme part négligeable, à partir du moment où l'on a un vrai verre à dégustation, plus rien ne nous arrète.
Grave erreur ! Pour cela revenons sur le verre de manière plus fouillée. Ce verre qu'est-il en fait : une passerelle entre le vin et le dégustateur. C'est bien cette intuition qui de manière culturelle nous a conduit à l'usage du verre a pied. Il fallait un verre qui mette en valeur le vin et qui ne l'altère pas. Dans les années 1970 le verre INAO fait son apparition, nous découvrons de manière formidable la puissance des arômes, le nez devient un sujet d'étude très poussé. Les commentaires de dégustations sont explicites, nous récitons de plus en plus souvent la liste des arômes perçus au nez, parce qu'enfin nous avons un outil qui nous permet d'apprécier cet élément. De là l'idée que le verre à une influence formidable sur le nez. Ce qui paraît logique dans notre approche cloisonnée des sens et d'ailleurs de la dégustation : examen visuel, examen olfactif, examen gustatif. Pourtant il est totalement abbérent de cloisonner les sens, car ils fonctionnent tout le temps ensemble. Depuis notre plus tendre enfance nous passons notre temps à associer nos sensations. C'est pour cela qu'à l'image d'un gigot, correspond l'odeur, le goût, le touché. Si l'ouïe ne rentre pas de manière directe dans le descriptif de cette pièce de viande, les sons sont associés dans la mémorisation des différentes occurrences de la dégustation de ce gigot. De même que l'environnement sonore nous prédispose à la nouvelle rencontre avec cette chair (la discussion, les convives, la musique, l'ambiance acoustique de la salle...). Donc chaque sens à une interaction avec un autre, c'est bien pour cela que nous nous amusons quelques fois à déguster dans un verre noir. L'expérience en soit reste anecdotique, mais elle devrait nous faire comprendre que privé de la couleur du vin nous sommes déstabilisés quand à la perception que nous en avons. Le vin, lui ne change pas, mais notre perception est altérée. De la même manière nous savons que sur un vin blanc nous aurons tendance à percevoir des arômes de fruits blancs, de fleurs blanches. Il suffit d'adjoindre un colorant alimentaire neutre de couleur rouge pour que nous trouvions dans ce même vins des arômes de petits fruits rouges. La vue a donc une importance non négligeable sur la façon dont nous percevons les arômes, que ce soit à l'olfaction, comme à la rétrolfaction. Entre ces deux phases de la dégustation se trouve le toucher de bouche, de manière schématique nous disons que la bouche ne perçoit que l'acide, l'amer, le sucré, le salé, quelquefois une perception d'ensemble est aussi validée. En fait, si de manière physique ce sont les types de sensations que nous ressentons, nous n'avons jamais cette impression, le vin en bouche nous donne une impression globale où se mêlent l'acidité, l'amertume, le sucré, le salé, la persistance, et les arômes « préludés » par le nez et conclu par la rétro. Il suffit d'être enrhumé, de ne plus avoir de nez, pour s'apercevoir que nous n'avons plus de bouche non plus. Nous sommes aveugles, somnolents du palais, les aliments sont fades et informes, le vin inexistant.
Pourquoi cette digression? Pour établir avec fermeté que nez et bouches sont associés, et ne peuvent être cloisonnés. Le nez prédispose la bouche (en bien ou en mal). Or que fait le fameux verre INAO par exemple, si ce n'est donner du nez? Donc influer sur la perception olfactive. Au vu de ce qui précède on comprend bien qu'en influant sur le nez, il ne peut pas faire autre chose que d'influer sur la perception de la bouche, par effet ricochet. Il n'y a bien sur pas que le nez proposé par le verre qui a des effets sur la perception des bouches. Le confort d'usage, son équilibre en main, la finesse de la paraison au contact des lèvres, l'aisance avec laquelle le vin vient dans la bouche, et bien d'autres facteurs. (que j'aborderai dans un prochain message)
Avant d'aller plus loin je vous propose donc de faire les tests suivants, en respectant bien le protocole suivant. Prenez un verre à moutarde/un goblet lambda, et votre verre a dégustation habituel. Servez le vin dans les deux verres. Veillez à ce que le vin soit bien à la même température dans les deux verres. Une fois ces verres prêts, prenez l'un des deux, sentez le en toute simplicité, sans vous attardez sur l'examen olfactif, l'objet n'est pas de faire un descriptif du vin. Portez le ensuite à vos lèvres, prenez une gorgée,et là faites bien attention aux éléments suivants : Longueur en bouche, équilibre des différents constituants du vin entre eux : acidité, amertume, gras, délié de la bouche, lisibilité, harmonie. Une fois ces éléments bien ien tête laissez les sensations s'estomper et procédez de même avec le deuxième verre. Vous devrez, je le pense, découvrir des écarts de sensations en bouche de manière assez notable entre les deux verres. Surtout, dans un premier temps, respectez bien le protocole : NE PAS COMPARER LES NEZ ENTRE LES DEUX VERRES, c'est anecdotique, vous pourrez le faire ensuite, mais c'est la globalité des sensations offertes par le verre qui est importante. L'image du vin perçue à travers ce verre. Le verre est une passerelle totale, et vouloir à nouveau séparer les sensations est une erreur. Rappelons nous que c'est parce que nous avons un certain nez que nous avons une certaine bouche. C'est notre expérience quotidienne lors de nos repas : un pain au chocolat a une image de pain au chocolat, une odeur de pain au chocolat et un goût de pain au chocolat. Si par hasard notre pain au chocolat n'en a que l'apparence et l'odeur, et qu'en fait il recelle un somptueux saumon fumé, il ya toute les chance que nous recrachions notre première bouchée et que nous trouvions le plat abject. NEZ ET BOUCHE SONT INDISSOCIABLES.
Revenons au verre. S'il est un élément du verre sur lequel on peut énormément jouer c'est sa forme. La hauteur des parois, leur courbure, ont une influence notoire sur la perception du nez. Selon la distance entre notre nez et le vin les familles d'arômes perçues sont très différentes. Le même vin va donc avoir des nez très différents selon les verres (pour ceux qui veulent faire croire qu'il y a des verres où l'on voit tous les défauts du vin, qu'ils arrêtent, les défauts ne correspondent pas à un spectre particulier). Mais quel est le vrai nez de ce vin? Quel est le nez qui ne correspond pas à une interprétation, à un filtre, à une distorsion. Difficile question qu'il faut peut-être prendre à rebours, et pour cela prenons le vignoble de bourgogne. On sait que les moines bourguignons ont dessiné la carte des différents climats en plein moyen age, et sans verre inao, bien souvent des tastevins. Donc pratiquement aucune information olfactive. La perception principale était celle de la bouche, construite sur les sensations tactiles en interaction avec la rétrolfaction. Cette dégustation même si elle est sommaire par rapport à nos habitudes contemporaines a le grand mérite d'être juste, neutre. La bouche n'est pas déformée par un « faux » nez. Et c'est dans ces conditions que les différents climats ont pu être déchiffrés, cartographiés, chacun à une empreinte gustative avant l'impression olfactive. La signature du terroir est une expression de bouche. A cette bouche correspondent des odeurs. Le bon verre doit donc nous proposer un nez qui correspond à la bouche, pas dans le sens de la similitude, mais de l'harmonie. Si le nez ne correspond pas, nous perdons la lisibilité de la bouche, nous perdons la lecture du terroir, nous perdons l'harmonie, et bien souvent les bouches paraissent dissociées. Nous incriminons alors le vin, alors que bien souvent c'est le verre qui lui joue un mauvais tour. C'est toujours l'histoire du pain au chocolat qui aurai un gout de saumon fumé.
Je ne parlerai pas de tous les verres, je donnerai juste mon sentiment sur le verre INAO et les verres « spécifiques ».
Concernant l'INAO, sa grande cheminée apporte en effet beaucoup d'arômes au vin, on a l'impression de le sentir, seulement c'est une spectre olfactif surindiqué, certains arômes volatils prennent le pas sur d'autres, nous avons une distorsion aromatique, et en général les bouches qui en résultent sont dissociées, manquent de clarté. J'ai utilisé ce verre pendant dix ans, et quand je revois mes notes, elles ne sont faites que de descriptifs aromatiques, peu de chose sur les bouches, leur qualité, leur touché. Tout était flou, et je m'en souviens bien (de ce flou). Je conseille donc à ceux qui utilisent ces verres de faire l'essai avec d'autres verres, et ce en suivant le protocole proposé plus haut.
Concernant les verres spécifiques, dit verre à chardonnay, verre à riesling, verre à bordeaux, verre à syrah..., je pense que c'est une mauvaise piste. Que dans le nouveaux monde on essaye de faire la meilleure syrah possible par des prouesses de vigneron soit! Mais si on prend la cas de vignobles anciens commes ceux dItalie, de France ou d'Espagne, pour ne citer qu'eux, les cépages se sont répartis selon leur pertinence à exprimer leur terroir (par terroir j'entends aussi bien le sol que les facteurs microclimatiques). Ainsi la Syrah est reine dans la partie septentrionnale de la vallée du rhône. Mais nous ouvrons avant tout une Côte-Rotie, ou un Hermitage, ou un Crozes, et plus avant, un Hermitage provenant des Bessards, ou des Greffieux, ou du Méal... Bref, nous affinons le terroir, il est prédominant sur le cépage, et nous attendons de la syrah qu'elle nous exprime au mieux cette parcelle. Pourquoi donc prendre alors un verre qui est conçu pour mettre en avant les caractères organoleptiques du cépage, donc de manière caricaturale les arômes primaires. Ils vont ainsi prédominer dans la lecture du vin et masquer en partie la signature du grand vin que nous buvons.
Bien-sûr tout cela est théorique, et il s'avère que dans la pratique certains verres spécifiques donnent une magnifique lecture du vin qu'ils contiennent. Mais cela est très aléatoire, et le dégustateur se trouve sur un chemin qui comporte bien trop de risque pour les précieux flacons qu'il s'apprête à rencontrer.
De plus d'une manière pratique cela oblige l'amateur à s'équiper d'une véritable batterie de verres, verres souvent très fragiles, ce ne sont encore que complexités et problèmes qui viennent s'interposer entre le vin et le dégustateur, nuisant à la relation directe, simple et immédiate avec le vin, propice pour une bonne dégustation.
Alors buvons bons et dans de bons verres!
Tchin Tchin
Julie