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Spiritueux vient du Latin "spiritus" signifiant "Esprit de vin".

Hine L'orfèvre du cognac

Messagepar Jean-Pierre NIEUDAN » Dim 19 Oct 2008 21:05

Dans les chais de Thomas Hine, en Charente, s'élabore un élixir dont raffolent les étrangers. Une production millésimée que concocte, en alchimiste distingué, Eric Forget, l'oenologue maison.

C'est une discrète bâtisse de pierre blanche, sur les quais de la Charente. A peine une petite plaque de cuivre vissée à la porte indique qu'on est bien chez Thomas Hine. Incognito, ou presque. C'est que ce producteur de cognac-installé à Jarnac tout près de la maison où naquit François Mitterrand-n'a pas besoin de flamber ici : les inconditionnels de son élixir sont bien plus nombreux en Russie ou en Chine que dans l'Hexagone. Là-bas, on sait que les vins élaborés dans les chais de Thomas Hine sont parmi les meilleurs du monde. En Angleterre aussi. Depuis quarante ans, la reine a sacré cette maison fondée en 1817 « fournisseur officiel de la cour britannique ». Du coup, lady Di en avait reçu un plein fût pour son mariage ! Chez Hine, les clients étrangers, on les bichonne : ils assurent tout de même 96 % des ventes...

Pourtant, avec seulement 21 salariés, dont la plupart travaillent dans les chais, la maison Thomas Hine semble bien modeste à l'échelle du marché qu'elle explore : les clients férus de cognac-et de cognac haut de gamme en particulier-étant justement au bout du monde. En Chine, à Singapour, en Russie, au Japon, on se jette sur les VSOP et les XO du terroir charentais... Pour surmonter cet éloignement, Hine s'appuie sur le réseau de distribution de sa maison mère, Angostura, un groupe de spiritueux qui commercialise notamment le rhum du même nom et le whisky écossais Burn Stewart.

Loin des considérations commerciales, Eric Forget, l'oenologue de la maison depuis presque dix ans, élève ses vins distillés avec une minutie d'orfèvre. Dans son antre, un laboratoire empli de fioles et d'alambics, il procède à l'assemblage minutieux de vingt ou quarante cognacs destinés à n'en faire qu'un seul. Pour ses recettes secrètes, il conserve des dames-jeannes de vieux Hine qui remontent à 1855. Mais l'histoire de cette Rolls du cognac, dont les bouteilles se vendent jusqu'à 400 euros, commence même à la Révolution. Quand Thomas Hine, débarqué de l'île de Jersey pour gagner sa croûte sous des cieux plus prospères, découvre Jarnac, il est illico envoyé en prison. On le suspecte d'espionnage. Libéré, il épouse la fille du producteur Delamain-un autre grand nom du cognac-et fonde sa propre affaire dans un bâtiment attenant à celui de ses beaux-parents.

Amour et traditions

Six générations plus tard, en panne d'héritiers, la florissante affaire perd son indépendance. Elle tombe d'abord dans l'escarcelle de British Distillers, dans les années 70. Quinze ans après, Hennessy l'achète pour arrondir ses stocks d'eau-de-vie. Puis, préférant se focaliser sur les grandes marques, le numéro un du cognac s'en débarrasse en 2003 - à bon prix - auprès d'Angostura. La nouvelle maison mère basée à Trinité-et-Tobago-et propriétaire en France de ChateauOnline et de Repaire de Bacchus-a de grandes ambitions en Europe. Elle veut pousser davantage la marque Hine, ce chouchou des professionnels de la dégustation. Et rentabiliser son investissement. Mais, déjà, Lawrence Duprey, le propriétaire caribéen de la petite boutique de Jarnac, peut se frotter les mains. Son acquisition aurait-au dire des professionnels-doublé de valeur...

Dans la petite maison bourgeoise dont les parquets crissent sous les pas, tout est fait pour prouver au visiteur qui s'aventure jusqu'à Jarnac qu'on se trouve au pays des traditions et de l'amour des choses bien faites. Les bureaux, installés dans un dédale de pièces lambrissées, ont été relookés par le décorateur britannique Russell Sage, dans un style éclectique qui contraste avec la discrétion ambiante. Au sous-sol, dans le chai d'origine (il y en a maintenant trois autres, modernes, aux abords de la ville), règnent une fraîcheur humide et l'odeur particulière du Torula compniacensis , ce champignon typique du cru qui se nourrit des vapeurs d'alcool. Là sont entreposées les barriques de chêne dans lesquelles dorment, une vingtaine d'années, parfois plus, les vins distillés destinés à être assemblés le jour venu. Plus loin, quelques fûts sont carrément sous clé. Ce sont les eaux-de-vie millésimées qui reposent-traçabilité oblige-sous la haute vigilance des douanes. « Nous sommes les seuls à avoir entrepris de faire une production millésimée de cognac », explique Eric Forget. Une niche qui n'assure qu'une infime part des 9 millions d'euros de chiffre d'affaires de la société, mais qui rapporte gros en image de marque. Au pays du luxe, c'est un capital inestimable.

Le gardien du temple en la matière, c'est François Le Grelle, un ancien professionnel du cacao formé à Sup de co Rouen, qui est arrivé aux commandes de la petite maison au hasard de son parcours chez Angostura. Sa méthode ? « Nous consacrons 20 % de notre chiffre d'affaires à la communication », annonce-t-il. Avec une courtoisie en harmonie avec l'atmosphère très British de la petite maison, il accueille personnellement tous les clients venus d'ailleurs. Et, comme il est de mise dans les grandes maisons, Hine leur offre même le gîte dans la bâtisse voisine, récemment rénovée pour en faire un lieu de séjour à la hauteur de la marque. Tout au long de l'année, les visites se succèdent. « On reçoit tous nos clients, des Chinois en jogging qui quittent la table au milieu du repas jusqu'aux Islandais éméchés », confie le directeur général, avec philosophie. Qu'importe ! Les ventes ont le vent en poupe. Et puis, le choc des cultures n'est pas un phénomène nouveau, à Jarnac. On se souvient qu'après des années de vaches maigres le cognac est revenu à la mode dans les années 90 grâce aux rappeurs américains. Ils s'en sont entichés, au point d'égrener dans certaines de leurs chansons quelques grands noms du secteur. Résultat, pendant dix ans, les exportations à destination des Etats-Unis ont grimpé en flèche, et les amateurs n'hésitent pas à s'offrir les plus grands crus. Plus récemment, la profession a découvert le gigantesque marché chinois où, summum du chic, on avale des quantités de cette luxueuse eau-de-vie, le plus souvent coupée d'eau gazeuse, durant les repas. « Quant aux Russes, cette clientèle qui offre encore de grandes perspectives de développement, ce sont de vrais connaisseurs. Ils sont prêts à payer très cher pour avoir du très bon cognac », se réjouit François Le Grelle. Confirmation à la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux : « Dès qu'elles ont du pouvoir d'achat, les nouvelles classes aisées des pays émergents consomment du luxe. Cela bénéficie aux marques premium », explique Renaud Gaillard, le délégué général adjoint.

Risques en sus de la crise

Cependant, chez Hine, on préfère ne pas pavoiser. D'autant que les risques qui pèsent sur la profession sont nombreux. Tout d'abord, la pénurie de matière première. Entre une faible récolte en 2007 et 2008 et une demande de vieux cognacs qui explose, les stocks s'amenuisent. Les prix atteignent des sommets. Les cours du raisin ont doublé en trois ans. Une inflation qui pénalise surtout les petits distillateurs ou négociants, qui n'ont pas la puissance suffisante pour assurer leurs approvisionnements. Les géants, eux, ont pris soin de signer des « contrats de bonne fin » avec les producteurs, qui leur garantissent des prix d'achat très stables. Quand ils n'ont pas-comme Hine l'a fait en acquérant 70 hectares en Grande Champagne, le meilleur des six crus de l'appellation-, quelques parcelles de vigne qui leur assurent une partie de leur production. Ces jours-ci, à Cognac comme à Jarnac, on s'inquiète de la crise financière et de la récession économique. Parce que le souvenir de la crise asiatique de 1997 reste dans tous les esprits : les ventes de l'élixir français au Japon, le deuxième marché à l'époque, avaient alors chuté de 90 %. Hélas, les caves de cognac n'abritent pas que d'exquis souvenirs.

Source : http://www.lepoint.fr
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Jean-Pierre NIEUDAN
 
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