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La mâche contre le muscadet : le progrès, c’est moderne

Messagepar Jean-Pierre NIEUDAN » Mar 20 Jan 2009 22:33

Par Catherine Bernard | Vigneronne

La mâche est une petite plante potagère sympathique. De plus en plus sympathique depuis qu’on la trouve en barquettes filmées (70 millions commercialisées), lavée, quasi prête à manger, toujours fraîche, tandis que sa lointaine cousine la laitue s’affaisse au premier coup de chaud ou de froid.

Elle s’accommode des poires aussi bien que du roquefort et, comme les chiffres du chômage et les fraises, est dessaisonalisée. Du temps de Ronsard, elle était au bassin de l’estuaire de la Loire ce que la roquette est au midi, une plante sauvage, au goût inimitable, douce amère, qui pointait avec le gel de l’hiver.

Avec les civelles (la pibale dans l’estuaire de la Gironde) et le muscadet, la mâche a formé le goût de générations de Nantais, dont le mien, puisque c’est quasi de là, côté nord de la Loire, que je viens. Les civelles sont devenues le caviar de l’estuaire, c’est-à-dire quelque chose qu’on ne mange pas tous les jours et même plus du tout, tandis que l’on peut depuis quelques années déjà mâcher de la mâche tous les jours, en toute saison, à Paris comme dans le Midi. Il est bien plus facile de trouver de la mâche que du muscadet. Les maraîchers nantais en produisent 32 000 tonnes. La progression est fulgurante: le double en dix ans.

Je ne m’étais jusqu’à maintenant jamais demandé comment un tel miracle –manger de la mâche à Montpellier de septembre à avril- était possible. A Noël, en allant rendre visite à des collègues vignerons, j’ai vu, là où, dans mon souvenir il y avait des vignes, des lignes et des lignes éblouissantes de tunnel de plastique blanc, faisant penser à des lacs ou des taches de neige, au choix.

"Ici, une vigne vaut le prix de l’arrachage plus celui de la terre, soit entre 8 000 et 10 000 euros l’hectare. Les maraîchers en offrent le double pour cultiver la mâche", m’a expliqué Marc Pesnot, un des vignerons auquel le muscadet doit beaucoup. L’hiver dernier, il a tenté de s’opposer à l’arrachage d’une parcelle de vignes jouxtant les siennes sur la commune du Loroux-Bottereau. Un jeune voulait s’y installer. Il a téléphoné au président du syndicat de défense de l’appellation et à la Safer (Société d’aménagement foncier de l’espace rural). On lui a répondu:

"Contre les lotissements et les routes on peut faire quelque chose, mais contre les maraîchers, on ne peut rien. C’est une histoire entre agriculteurs."

Il a insisté: "Mais enfin, ces terres sont classées en AOC (appellation d’origine contrôlée)!" Ça ne change rien. Depuis, il y a des tunnels de mâche, laquelle, je l’apprends sur l’un des sites de la mâche est aussi une indication géographique protégée. On n’arrête pas le progrès.

L’offre et la demande faisant loi, à l’étroit sur Saint-Julien de Concelles et la Chapelle-Basse-Mer, proches de la Loire, donc du sable et de l’eau dont la mâche a besoin, les maraîchers grignotent sur les communes voisines. La culture de la mâche s’étend désormais sur 6 500 hectares, celle du muscadet sur 11 000 hectares. La première a doublé ses surfaces, la seconde a perdu 2 000 hectares.

Le miracle, c’est le génie de l’homme qui a dessaisonalisé et automatisé de A à Z la culture de celle qu’on appelle aussi la boursette, la blanchette, la galinette, l’herbe douce et d’autres petits noms. Les terres à vignes sont transformées en terres à mâche. Les roches sont concassées. Les cailloux sont extraits. On rajoute du sable. On installe l’eau. On aplanit. On place des arceaux. On sème. On filme en même temps qu’on traite (une injection). Au bout de trois semaines, on récolte. On peut visualiser ce progrès dans la vidéo proposée par le site de l’un des groupements de producteurs.

Vous me direz, et alors? Alors, comme là où s’élèvent les pins, là où pousse la mâche, plus rien d’autre ne pousse, surtout pas de la vigne. Quelques heures suffisent à détruire un sol. Des milliers d’années sont nécessaires avant qu’il se constitue. Le terroir du muscadet est une mosaïque de sols où affleurent les roches dites mères, exprimant des nuances à l’infini, du minéral au cristallin.

Le muscadet est un petit cousin du Languedoc (je relève au passage que, me concernant, l’exil est ainsi une réalité toute relative). Ces deux vignobles ont du mal à totalement se défaire de la réputation de produire de petits vins, et sont, en conséquence, toujours prêts à bazarder leur patrimoine au mieux disant. Une bouteille de muscadet coûte à peine plus cher qu’une barquette de mâche. Pourtant, quand il a été bien travaillé et qu’on lui laisse le temps de vieillir, comme s’il se souvenait de ses origines, le melon de bourgogne, le cépage unique de l’appellation, "meursaulte". Souvent, la mâche n’a plus qu’un lointain goût avec la petite plante potagère sauvage. Après nous les mouches vertes .

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Jean-Pierre NIEUDAN
 
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