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[Jean-Pierre NIEUDAN]

Mal connu et parfois mal aimé car incompris, le vin jaune du Jura est un grand vin de gastronomie, surtout quand il est produit à Château-Chalon.

Passé le réveillon du 31 décembre, le pont se prolongera parfois dans l’inactivité jusqu’au dimanche 4 janvier. Pour ceux et celles qui ont encore le goût de cuisiner et l’envie de déguster, le moment est peut-être venu de déboucher une bouteille très spéciale : le vin jaune du Jura.

Un ami photographe me raconta un jour comment il avait vidé deux bouteilles de ce breuvage étrange dans l’évier de sa cuisine. Le goûtant avant de le servir à ses invités, il s’était convaincu que ce vin au goût oxydé s’était détérioré en bouteille alors qu’il s’attendait à boire du sucré. Or le vin jaune n’est jamais sucré et la touche oxydée résulte d’un séjour minimum de six ans et trois mois en barrique. Car la barrique boit chaque jour une petite partie de son contenu et l’élevage du vin jaune en fût se fait sans ouillage, c’est-à-dire sans ajout. Du coup, le niveau baisse régulièrement et lentement, tandis que se forme à la surface du vin un voile de levures qui l’empêche de tourner au vinaigre.

Nul ne semble savoir de quand date le vin jaune, mais les abbesses de Château-Chalon en produisaient déjà au Moyen Âge. Ce vin est issu du cépage savagnin, particularité du vignoble jurassien. Les moûts tirent souvent entre 13,5 degrés et 14 degrés, après une vendange assez tardive. Le vin est logé en fûts où il fermente lentement dans des caves non enterrées afin de subir les variations de températures que les autres vins supportent si mal.

En théorie, le vin se laisse oublier jusqu’à la date de mise en bouteille. En pratique, les vignerons font deux prélèvements par an pour analyse. Quand le résultat illustre le début d’un dérapage, le vin est mis en bouteille sous l’appellation savagnin ou dans un assemblage avec du chardonnay. Les bonnes barriques poursuivent leur chemin, tandis que l’éthanal, une substance aux arômes de noix verte, porte le processus de vieillissement du vin.

On aime rarement le vin jaune dès la première gorgée. C’est lui qui nous apprivoise progressivement, à condition d’y mettre du sien. Il s’agit ici d’un produit culturel aussi difficile à saisir qu’un tableau de maître. On fait du vin jaune dans les appellations Côtes-du-Jura, Arbois, l’Étoile et Château-Chalon, ce dernier étant le plus prestigieux en raison de la spécificité géologique et de l’exposition des combes en contrebas de ce village médiéval posé sur un éperon rocheux.

Débouché une journée avant le service, le vin jaune peut être bu en apéritif, accompagné de noix et de cubes de vieux comté. Il accompagnera ensuite des crustacés avec une sauce à l’armoricaine, avant d’afficher tout son potentiel de grand vin sur un coq… au vin jaune et aux morilles, accompagné de pâtes fraîches.

Dans une bonne cave, ce vin se garde pendant plus d’un siècle tant son séjour en barrique l’a rendu indestructible. Si la fantaisie vous prend d’entamer une bouteille juste sur un bout de comté bien affiné, sachez que ce vin pourra se garder dans la bouteille durant encore plusieurs semaines sans subir la moindre détérioration.

Gérard Le Puill http://www.humanite.fr